Woxx

Autour d’Erik Satie, spectacle musical en forme de poire… ou plutôt d’hommage à l’excentrique compositeur français, oscille avec bonheur entre le sérieux biographique et la dérision onirique.
De son vivant, Eric Alfred Leslie Satie, dit Erik Satie (1888-1925), n’a pas connu l’aisance douillette que le succès actuel de ses Gnossiennes ou de ses Gymnopédies aurait pu lui procurer? Déclaré sans talent par ses professeurs du conservatoire de Paris, c’est en autodidacte qu’il composera la plupart de ses oeuvres, ne s’inscrivant qu’à près de quarante ans à la Schola cantorum du compositeur Vincent d’Indy pour y réussir brillamment son examen de contrepoint trois ans plus tard.

Des mélodies au piano désormais célèbres à une oeuvre orchestrale plus méconnue, en passant par les chansons alimentaires pour les cafés-concerts en vogue à l’époque, il truffait ses partitions d’indications sibyllines: « En se regardant de loin », « Du bout de la pensée » ou « Enfouissez le son ». Un original donc, que son engagement politique, très sérieux lui, a conduit à adhérer à la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), puis au Parti communiste.

C’est l’histoire d’une oeuvre hors du commun, d’une puissance évocatrice sans pareille – en témoignage son succès contemporain -, et de la vie non moins exceptionnelle de son auteur, que la metteure en scène Ariane Buhbinder nous conte au Théâtre ouvert Luxembourg. La comédienne Colette Kieffer campe avec conviction une conférencière bien vite dépassée par l’apparition sur scène du personnage qu’elle évoque. Celui-ci va, par ses facéties, la transformer peu  peu jusqu’à reconnaître en elle la « petite fille aux grands yeux verts », le nom que Satie donnait à la pauvreté dont il était familier et qu’il a toujours cachée à son entourage.
Jean Higler, perpétuellement à la recherche de son parapluie, incarne le fantasque compositeur avec un zeste de dandysme qui sied parfaitement au personnage.

Difficile d’évoquer Satie sans donner à entendre sa musique. C’est donc un mélange subtil entre théâtre et concert qu’on peut assister, les deux comédiens étant aussi bons pianistes. A deux ou à quatre mains, c’est un pot-pourri inspiré – gageons que le mot aurait plu au compositeur – que nous livrent les deux acteurs touche-à-tout, qui poussent même la chansonnette. La mise en scène tire habilement parti de l’espace exigu qui lui est alloué: théâtre de marionnettes, projections vidéo, accessoires loufoques et mouvements scéniques se succèdent sans relâche pour stimuler l’imagination du spectateur. Le piano, véritable troisième personnage sur scène, se voit balader à tous les endroits possibles du plateau et, outre son évidente utilité musicale, renferme bien des surprises lorsqu’on ouvre son couvercle.

Pris dans un tourbillon visuel et auditif qui ne cesse qu’au rideau final, le spectateur se délecte et ne voit pas le temps passer. Même si, à la fin, on se prend à regretter de n’avoir pas entendu un plus ample aperçu de l’oeuvre pour orchestre, encore peu jouée de nos jours. A quand une représentation au grand-duché de « Parade », le ballet que Satie composa sur un poème de Jean Cocteau avec des décors de Picasso à l’époque? Décors qu’on a pu voir d’ailleurs, il y a peu, au Centre Pompidou de Metz. En attendant, les inconditionnels de Satie comme les mélomanes ordinaires pourront se délecter au TOL, sans trop tarder cependant – les représentations se terminent bientôt.

FLORENT TONIELLO, Woox – n°1273 , le 26 juin 2014